Ana Tamayo

LA FEUILLE ET LE SANG
Cécilia Becanovic
De Marcelle Alix
65 SDM

Dans une courte vidéo de 2015, Reconstruire une feuille, nous voyons un gros plan sur les mains de l’artiste colombienne Ana Tamayo, occupées à reconstituer une feuille d’arbre à la manière de Cocteau dans Le testament d’Orphée, lorsqu’il ressuscite par un fascinant mouvement à rebours une fleur d’hibiscus. Deux minutes suffisent à Ana Tamayo pour réunir les fragments de limbe foliaire autour de la nervure principale et ses nervures secondaires. Chez Cocteau et Ana Tamayo, ce geste défend un temps divergent et utopique. C’est l’image d’une transformation : celle de la rencontre avec le réel entrevu sous l’angle de la destruction commutée en une chose douce et apaisante. Si Cocteau mêle son sang au calice rouge vif de la fleur, Tamayo se soucie de lever un sens en mimant l’éternel retour de ce qu’on a cherché à faire disparaître, soit l’éternel retour de la « feuille » – symbole du métissage pour l’artiste – comme dépassement actif de toute tentative d’infériorisation ou d’amputation.

Une photographie de peau de papaye marquée par un couteau qui a divisé la chair du fruit en rectangles réguliers est un signe de plus. Chaque forme existante revisitée revient à évoquer des mains dans la terre, des cosmovisions indigènes et des traditions qui préservent les rêves, les souvenirs et les émotions. Ana Tamayo utilise une énergie affirmative en tant que femme et sa capacité à se mettre en relation pour évaluer le contexte écologique et se rapprocher des mouvements d’autonomie alimentaire issus des « premiers peuples libres » d’Amérique du Sud. La vidéo Lettre à Isaac, adressée à son fils, ressemble au bâton dans les roues préconisé par Henry David Thoreau. Tenu par des mains toujours plus nombreuses, il pourrait bien arrêter la machine.




TRANSFORMATIONS DES IMAGES POUR UN ARRÊT, REGARD SUR NOTRE MONDE

Sur la revue Point Contemporain

Par Pauline Lisowsky

http://pointcontemporain.com/ana-tamayo-antlia/


EN DIRECT / ANTLIA, EXPOSITION D’ANA TAMAYO : TRANSFORMATIONS DES IMAGES POUR UN ARRÊT, REGARD SUR NOTRE MONDE À L’ÉPROUVETTE, MICRO CENTRE D’ART, JUSQU’AU 19 NOVEMBRE 2019


Ana Tamayo observe notre manière de considérer la nature et notre rapport à l’habitat. Originaire de Colombie, elle interroge l’écart entre le lien direct avec la terre en son pays et le rythme de flux en ville. A partir des images, elle crée des œuvres qui nous invitent à nous poser des questions sur la perception du monde, de nos gestes et de ce qui nous faisons mais qu’on ne perçoit plus.

A l’éprouvette, micro centre d’art, elle présente trois œuvres qui créent des connexions entre elles et invitent à des allers-retours du regard. Un grand photomontage Antlia ou la machine pneumatique présente à première vue une carte du ciel, une constellation qui inspire à plonger dans un ailleurs des plus lointains. En se rapprochant, nous découvrons que ces étoiles sont en réalité des objets, un ensemble qui traduit la société de consommation. Antlia, signifiant pompe en latin, renvoie à une constellation initialement baptisée machine pneumatique, en hommage à l’invention de Denis Papin.

Lors de ses déambulations urbaines, Ana Tamayo fut captivée par la multitude d’objets dans les rues. Elle les prend en photo et constitue une archive de ces traces de présences, témoignage d’un état du monde.

« Je peux passer longtemps sur une image. Je fais de la photographie lente. Cela comporte plusieurs couches temporelles. C’est un traitement pictural où l’expérience du corps (que cela se voit ou pas, je pense à une action performative) est très présente. Jusqu’ici faisant un recul sur mon travail, quand je me confronte à l’image je fais un travail de semence long. Il se traduit par la recherche in situ, ce travail de terrain prend toujours un temps nécessaire. Ensuite je réalise un archivage et une étude des images qui s’écoule doucement dans un aller-retour d’observation, perception et recherche sur l’archive. Ensuite une iconographie ressort comme une synthèse du terrain, pour ensuite passer à la mise en espace où le travail d’installation, sculpture, transgression des lignes d’exposition y est fait. Je cherche à activer la scène par des performances et des actions. » explique-t-elle.
En cette image de ciel, ces d’objets se seraient évaporés ou se seraient transformés en une nouvelle matière. Cette évaporation renvoie à un matériel de construction d’une image, d’une idée.

Un ensemble d’avions de papier réalisés à partir de ces mêmes images compose des structures pendantes, potentiels éléments qui participeraient d’une architecture. Un aspect ludique émane de cette œuvre. Cumul convoque le geste d’une construction simple, un double sens du pli vers l’action du déplacement comme dans une dialectique. Vaisseo O constitué également d’images suggère ce voyage vers l’univers. Ce véhicule suggère une machine à transporter et à conduire vers le vide.

La photographie devient ici matière, module pour des propositions qui naissent en fonction des lieux. Ana Tamayo affirme avoir voulu créer un « arrêt sur la production et la diffusion d’images ». Ses œuvres évoquent notre rapport aux objets, à leur surproduction et à une consommation qui colonise notre habitat. L’artiste précise ainsi : « parfois les personnes peuvent passer rapidement sur les images sans se rendre compte des couches temporelles qu’elles impliquent. C’est une affaire de perception, seulement les plus curieux pourront les apprécier, rêver et philosopher autour d’elles. Ce n’est pas pareil vu de loin que de près, ce n’est pas pareil vu sur le web qu’en lieux d’exposition physique. C’est aussi différemment de gauche de droite ou à l’inverse du décor. C’est aussi cette multiplication de points de vue que peut porter la photographie et que je rends visible à travers de plusieurs formes. »

Son exposition condense plusieurs états de l’image, de la prise de vue d’un objet observé, à son pli, à sa réduction puis à sa transposition comme matériau de construction. Pour Ana Tamayo, « Il s’agit de déconstruire pour se construire et se reconstruire avec sensibilité, humanisme, éco-sophisme, conscience, mémoire et esthétique ». L’artiste nous incite à prendre le temps de regarder pour saisir ce que cache cette quantité d’images d’objets, un trop plein qui implique désormais un besoin de ralentir et de prêter attention aux petits êtres et à la nature, en bouleversement.






ANTLIA
Sur la revue Point Contemporain
Par Lorena Diaz
https://agenda-pointcontemporain.com/ana-tamayo-antlia-leprouvette-micro-centre-dart-paris/

EXPOSITION PERSONNELLE ANTLIA D’ANA TAMAYO À L’ÉPROUVETTE MICRO CENTRE D’ART JUSQU’AU 19 NOVEMBRE 2019.


L’éprouvette ouvre ses portes pour la saison 2019-2020 avec l’exposition ANTLIA de l’artiste Colombienne Ana Tamayo. Son œuvre est fortement marquée par une réflexion socio-politique et environnementale au sein de son pays d’origine. Ses œuvres nous proposent de multiples points de vue pour chaque sujet abordé, et souvent nous invitent à plonger dans une fiction.

ANTLIA réunit plusieurs pièces qui se déploient dans l’espace et se répondent :photomontage grand format, volume suspendu, pliages de documents photographiques. Le regardeur est confronté à l’immensité du cosmos, à sa vacuité. En réponse, des fragmentsdu quotidien, objets abandonnés dans la ville, viennent hanter l’espace d’exposition au travers d’un changement d’échelle. L’infiniment vide est fascinant ou dérangeant, selon l’état d’esprit, tout comme l’objet délaissé.

Ces œuvres proposent des bribes de narration, pour laisser le regardeur construire son propre récit. Antlia, signifiant pompe en latin, est le nom d’une constellation initialement baptisée machine pneumatique, en hommage à l’invention de Denis Papin. L’artiste déclenche une série de passerelles entre cette machine pneumatique et le système capitaliste, où le spectateur est invité à de nombreuses associations possibles : « La fiction dans Antlia est un bon moyen de créer un récit politique autre. Il s’agit d’un parallèle entre la machine de surproduction capitaliste et une machine à créer du vide. » Ana Tamayo

L’artiste s’empare de la photographie en poussant ses limites. L’image est altérée, découpée, fragmentée, scénographiée. Elle investit les objets et l’espace dans une mouvance qui questionne en permanence le statut de la photographie. Ces pièces protéiformes soulèvent des enjeux liés à la globalisation, tel le capitalisme exacerbé, ou le sacrifice de la nature au profit de l’économie.




MONUMENTS
Par Melissa Serrato

2015

https://paris.consulado.gov.co/sites/default/files/news/attachments/dossier_presse_anatomias_de_la_accion_f.pdf


L’artiste s’inspire de la vitalité de la nature, des circonstances dans lesquelles elle se manifeste, de son dynamisme, de ses traces, et de son caractère pour s’engager sur la frange hybride de l’image et du paysage.

Pour l’artiste, la géographie n’est pas un accident ou un accessoire décoratif mais une mise en scène à découvrir. Au fur et à mesure que l’artiste en fait l’expérience, celle-ci se matérialise dans un temps concret, un présent parfait. Elle forme ainsi son propre horizon et ouvre à partir de celui-ci une brèche dans le monde où elle vit pour appréhender et s’approprier un territoire concret.

Ses photographies fixes et en forme de diaporama de la forêt d’Orbais-l’Abbaye, au Nord-Ouest de la France, sont le résultat d’un questionnement personnel à propos de l’espace qu’elle habite. Elle entame sa quête en s’écoutant, sans rien programmer, elle n’attend rien, elle trouve. Ce qu’elle trouve n’est pas un lieu de plus, mais l’expérience qu’elle fait d’un environnement concret à partir de laquelle elle produit une série d’images photographiques. Elle s’empare alors de ces images, qui dévoilent des anatomies singulières, pour les transformer en des pièces sculpturales surdimensionnées.

Elle voit dans l’écorce d’un arbre non un simple morceau de bois mais un objet qui l’interroge car celui-ci bouleverse son approche de la vitalité de l’environnement. C’est alors qu’elle fait le dernier pas : elle le transforme en image.

Ses cadrages ne sont dès lors pas spontanés et hasardeux, ils sont pensés comme un témoignage, une mise en scène qu’elle découvre et qui passe d’une expérience sensorielle à une expérience esthétique. Son parcours dans la forêt est lié à la performance et au regard qu’elle porte sur le paysage pour le transformer en image.




This series of photographs and objects that becomes an installation are the first two parts of the Queer Constellation. The black and white printed photographs are made from queer fetish objects, in a performative gesture of surveying intimate and public places. The images are intervened with words. There emerges a language of Abya Yala's intersectional feminism. One could say a queer and anti-racist eco feminism.
On the other hand, photographs of performances with starry backgrounds are used as metaphors. On the one hand this re-situates the human in a geological and cosmic scale, on the other hand it shows different constellations or worlds co-inhabiting together. A world that contains many worlds as the Zapatistas say.

This installation around a feminist SF tells the utopia of a queer community, propelled by the global south, which seeks autonomy of its food and health and does not want to reproduce the society of today. It is in search of in search of ancestral and contemporary body memories and ecological knowledge to redefine their territories and boundaries in different parts of the world and in cyber space. This series is imagined as a diversity of constellations where | address issues such as care through medicinal plants, emotional digestion, dancing as a way of performing bodily and self-care tools; gender deconstruction, alternative thoughts and writings.
 
In this context | program different laboratories and collective workshops that allow the movement of bodies and thoughts, the conversation and the construction of multiple points of view, in collaborative care environments. Some of these collective and individual photographs are the result of invitations and the setting up of the workshop "Pelvica": danced ritual, medicinal plants, drawing and automatic writing & collective performance photography. These laboratories were activated in Colombia, with the help of the traversées grant, at the Tour Mercuriales in Bagnolet within Plateau Urbain and at the Cité Internationale des Arts, as a laureate of the Fondation Carasso. This series is currently in post-production, is open and will continue.




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PΞŁvłϾΛ



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Ana Tamayo, Adagp, 2024